DE PRIN ALTE PĂRŢI POLITIC RECENTE

Nuit debout

[label shape=”” type=””] Vincent Henry [/label]

 

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Que signifie ce mouvement qui secoue la France depuis des semaines ? En fait, personne ne le sait vraiment et ce que nous proposons aujourd’hui ne sont que des éléments d’interprétation.

Depuis le 31 mars des citoyens se sont rassemblés plus ou moins nombreux pour discuter politique et société. A Paris d’abord, sous l’égide symbolique de la statue de la République dont les pieds sont recouverts depuis plus d’un an par les messages d’hommages aux victimes des récents attentats terroristes. Sur de nombreuses places ailleurs en France, de façon régulière ou sporadique dans plus de 80 villes. Des dizaines de milliers de citoyens réunis pour parler, à la tombée du soir et jusqu’aux lueurs de l’aube.

Des citoyens jeunes pour la majorité d’entre eux.

Une nouvelle agora qui s’organise en commissions thématiques allant de l’organisation et la coordination du mouvement aux sujets de débats eux-mêmes ; travail, économie, écologie, agriculture, système politique en fonction de l’actualité du moment et des lieux de rassemblement.

Lors des assemblées chaque participant peut prendre la parole et donner son avis sur un sujet ou un autre, chaque intervenant a un temps de parole limité à quelques minutes, qu’il soit étudiant ou ancien ministre, chaque intervention est immédiatement évaluée par les mains levées du public. Pas de leader dans ce mouvement. L’horizontalité et l’immédiateté des réseaux sociaux auxquels le mouvement doit beaucoup. La force du mouvement pour certains, sa faiblesse intrinsèque pour d’autres.

Des semaines que cela dure avec une intensité plus ou moins forte.

Le mouvement Nuit debout est né d’une combinaison d’évènements plus ou moins concomitants mais de nature  différentes. Le premier est la promotion d’un film « Merci Patron » de François Rufin. Un documentaire fiction, un peu dans le style de Michael Moore, dans lequel le metteur en scène s’efforce de sensibiliser le président du groupe LVMH[1] au sort d’un couple d’ouvriers licenciés à la suite de la délocalisation d’une des usines du groupe. Insolent, rageur et militant, le film remporte un réel succès. Une projection publique est proposée dans le cadre d’une rencontre organisée par le réalisateur, la rencontre s’appelle « leur faire peur ».

C’est cependant un projet de loi qui va fournir le gros des troupes de nuit debout. La loi sur le travail dite « loi El Khomri[2] » se propose de « réformer » le marché du travail en France. Une loi pour lutter contre le chômage en « fluidifiant le marché du travail » ; plus de facilité à licencier, possibilité d’augmenter les heures supplémentaires, remise en cause de fait de la durée légale du temps de travail, plafond fixé aux indemnités en cas de licenciement contesté. Une loi d’adaptation aux « réalités du marché » pour aider les entrepreneurs à embaucher, car en France, les entreprises ont « peur d’embaucher ». Une nouvelle loi caractéristique du gouvernement de gauche au pouvoir depuis 2012, symbole d’une social-démocratie européenne qui semble condamnée à une fuite en avant vers un chimérique « social-libéralisme ».

La pédagogie du gouvernement n’a pas bien fonctionné. Enfoncés dans leurs « archaïsmes », les syndicats appellent à manifester, les étudiants et les lycées, forcément manipulés, se joignent au mouvement.

D’autres réactions plus diffuses accompagnent ces manifestations souvent émaillées de violences. Des milliers de vidéos et de témoignages commencent à circuler sur Internet au mois de mars, ils sont regroupés sous le titre « On vaut mieux que ça ». Le débat sur la loi travail fait réagir ceux qui voient en ce projet de loi une promesse d’aggravation de la précarité. Des jeunes diplômés sans travail décent, des stagiaires corvéables à merci, des travailleurs jetables, des petits soldats de l’économisme triomphant, surmenés ou sous-employés, des cantonnés à des tâches absurdes, des condamnés à mentir et tricher, des employés au programme déstructuré, des précaires à la quête de fragments de contrat. La chronique de vies hachées par la souffrance au travail, par les difficultés financières, l’ennui, le cynisme.

Le 31 mars, une manifestation contre le projet de loi travail réunit plus d’un millions de manifestants. A la fin de la manifestation parisienne, quelques milliers de personnes décident de rester sur la place de la République. Le mouvement Nuit debout est lancé.

Au-delà de l’opposition au projet de loi sur le travail, Nuit debout souligne des besoins sociaux :

Le besoin de se réunir au sein d’une société inquiète où la nostalgie et la peur de l’avenir dominent les débats.

Le besoin de se compter dans un pays où une gauche en miettes et une droite sans idées ont laissé le monopole de la parole audible au Front National.

Le besoin de débattre pour dire que la société souffre, que le pouvoir s’éloigne et que l’on est de plus en plus nombreux à perdre pied.

Nuit debout contre la peur.

Ces besoins structurent un mouvement par ailleurs très hétérogène. On débat d’un peu de tout sur les places de France depuis le mois de mars ; de politique économique, du chômage, de la place du travail, des revenus, des inégalités, du revenu universel ; d’écologie, d’environnement et d’agriculture biologique, des droits des minorités, du féminisme, du TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership). A ces vastes sujets viennent s’ajouter des engagements locaux, la défense d’une famille menacée d’expulsion là, la protection d’un espace vert ici. Dans les premiers jours, le mouvement s’étonne lui-même de son succès, il s’étend à toute la France et dépasse même les frontières du pays. Nuit debout s’attire la curiosité des médias, il envahit Internet et s’y développe.

Avec le succès viennent les premières interrogations. Comment continuer et pour quoi faire ? Comment diversifier le public participant ?

Les premières critiques viennent également ; elles viennent de droite : Que font ces jeunes sur les places, n’ont-ils pas de travail ? Pensent-ils représenter autre chose qu’eux-mêmes, eux qui dans leur immense majorité sont des jeunes ayant suivi des études ?  Elles viennent aussi de gauche : Le mouvement est nombriliste et n’a pas d’objectif, il se regarde faire la révolution, fasciné par sa propre image, son propre reflet sur Facebook.

Il faut dire que le mouvement perturbe la classe politique. La droite sent bien que le mouvement lui est radicalement hostile mais les partis de gauche ne s’y sentent pas les bienvenus non plus. Le mouvement craint par-dessus tout les tentatives de récupération par des structures politiques ou syndicales officielles.

Dans le courant du mois d’avril, le mouvement lance des actions variées pour avancer. Tentatives de manifestations devant le domicile du Premier ministre, devant l’Elysée, devant l’Assemblée Nationale, occupations de banques, interventions au siège du conseil régional de Bourgogne, à celui du conseil municipal de Clermont-Ferrand. Nuit debout essaye de prendre pied dans les quartiers populaires, dans les banlieues des grandes villes. Nuit debout en Seine Saint-Denis.

Malgré les interrogations et les critiques, de nombreuses personnalités interviennent à Nuit Debout, François Rufin, l’économiste hétérodoxe Frédéric Lordon, l’ancien ministre grec Varoufakis, des leaders politiques écologistes ou du Front de Gauche, en leur nom propre. Alain Finkielkraut aussi mais le philosophe conservateur n’est pas le bienvenu, il est chassé assez brutalement de la place de la République. Cet évènement, filmé, entraine une polémique, c’est un tournant. Nuit Debout serait-elle autre chose qu’une gentille assemblée de rêveurs inoffensifs ?

Le 21 avril, lors d’une assemblée générale à la bourse du travail intitulée «Nuit debout ; l’étape d’après »[3] Frédéric Lordon met les points sur les I. « Nous ne sommes pas ici pour faire de l’animation citoyenne, nous sommes ici pour faire de la politique, nous ne sommes pas amis avec tout le monde, nous n’apportons pas la paix ». De son point de vue, si Nuit Debout veut être autre chose qu’une assemblée de gentils rêveurs, il faut aller au-delà du purement revendicatif et aller vers la convergence des luttes contre le système économique libéral.

Nuit debout se durcit.

Avec cette cristallisation autour d’un corpus idéologique plus articulé mais aussi plus clivant, le regard sur Nuit debout change. L’atmosphère aussi. Les heurts avec la police se multiplient, les dégradations aussi, les actions des « casseurs » attirent l’attention des médias et refroidit une opinion publique jusqu’alors plutôt favorable au mouvement.

Tentatives de rapprochement avec les syndicats, appel à la grève générale donnent une cohérence aux revendications tout en faisant perdre au mouvement sa spécificité et un peu de sa grâce naïve. Violences encore, individus casqués contre policiers mal contrôlés. Les partis de droite demandent l’interdiction du mouvement, après tout le pays n’est-il pas en « état d’urgence » après les attentats, ce qui implique l’interdiction des rassemblements publics ? Le gouvernement essaye de tempérer, il dit comprendre, surtout il ne veut pas risquer de perdre ses dernières attaches à gauche, les élections sont dans moins d’un an et elles sont mal engagées. Après de nouvelles violences, au soir de la manifestation du premier mai, on restreint quand même l’espace laissé libre.

Nuit debout sera couchée à 22 heures.

Vers le 65 mars[4] le mouvement se cherche un second souffle, il s’étiole lentement. Le projet de loi sur le travail est en discussion à l’assemblée, il a été amendé, mais le débat s’enlise dans une bataille d’amendement.

Nuit debout a peu de chance de déboucher sur la création d’un « podemos » français, le grand frère espagnol né d’un mouvement similaire à Madrid. Une prochaine fois, peut-être…

Nuit debout a relevé une immense envie de politique, un besoin de parler de ce qui nous arrive et de trouver d’autres voies.

Cette longue veille a essentiellement touché la jeunesse des grandes villes déjà mondialisées, là où se bat pour trouver sa place, là où se retrouvent les intellectuels précarisés mais qui croient encore à la possibilité d’agir. Nuit debout a voulu s’internationaliser, elle y a réussi mais avec le même type de sympathisants, des jeunes éduqués, militants, connectés. Le mouvement a certes senti la nécessité de sortir du cercle en allant vers d’autres couches sociales mais il n’a pas su le faire pleinement. Un peu par méconnaissance des autres, un peu par narcissisme, Nuit debout entre soi.

Nuit debout comme d’autres mouvements avant lui est aussi pris dans le piège de l’illusion numérique. Oui, les réseaux sociaux permettent une mobilisation rapide, oui les comptes twitter et les pages Facebook s’enflamment mais ce « like »tivisme et les torrents de commentaires incantatoires permet-il de dépasser de beaucoup le cercle des convaincus ? Mythe confortable de la révolution 2.0. L’outil ne fait pas tout.

Illusion aussi de l’horizontalité, vision romantique d’une politique qui part de la base, pourtant pour que les revendications convergent et face corps, il faut qu’elles s’articulent, se hiérarchisent, s’organisent.

Le 12 mai, dans le calendrier réel, le projet de loi sur le travail passe au forceps au Parlement. Elle mécontente la gauche qui dénonce la dislocation d’un droit du travail jadis égal pour tous, elle mécontente à droite qui estime que la loi ne va pas assez loin pour « libérer les énergies ». Elle mécontente mais elle est votée.

Manifestations spontanées, grèves surprises, violences et dégradations encore… Mouvement de colère, réaction au coup, jour de fracas.

Nuit Debout se fait moins entendre, peu à peu elle s’efface.

Ceux qui ont essayé de l’entraîner sur le terrain de l’affrontement classique se sont trompés sur sa nature profonde. Nuit debout ne défile pas à travers les villes, elle s’arrête sur une place. Nuit debout n’est pas mouvement, c’est d’abord une demande de pause, une volonté de s’arrêter dans un monde qui bouge trop vite. S’arrêter pour réfléchir, réfléchir au pire qui avance et qu’il faudra bien arrêter. Ce n’est sans doute pas assez mais c’est déjà une première lueur.

 

[1] Groupe Louis Vuitton, Moet Hennessy, leader mondial des produits de luxe dirigé par Bernard Arnault.

[2] Du nom de la ministre du travail Myriam El Khomri.

[3] A voir sur https://www.youtube.com/watch?v=IY94-Fkf3iw

[4] Nuit debout propose symboliquement un calendrier qui commence le 31 mars, premier jour du mouvement.

 

Source de l’image.

 

Despre autor

Vincent HENRY

(ro) Vincent Henry este doctorand în Științe Politice la Univeristatea Paris-Est și absolvent al Institutului de Relații Internaționale și Strategice (IRIS_Paris).
V. Henry predă Istorie și Literatură Franceză la Facultatea de Litere a Universității Babeş-Bolyai din Cluj. Cea mai mare parte a carierei și-a petrecut-o în Europa Centrală și de Est, unde a activat în departamentele culturale ale Ambasadelor Franței în Bulgaria și Moldova, iar după asta s-a transferat la oficiul Europei Centrale și de Est din cadrul Agenției Universitare a Francofoniei, unde a activat ca manager de programe.

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(en) Vincent Henry is a PhD student in Political Sciences at Paris-Est University and Graduate of the Institute of the International and strategic Relations (IRIS-Paris).
He teaches French literature and History at the Faculty of Letters of Babes-Bolyai University in Cluj. He led the main part of his career in Central and Eastern Europe having successively worked for the cultural departments of the Embassy of France in Bulgaria, in Moldova, then in Romania before joining the Central and Eastern Europe office of the Agence universitaire de la Francophonie where he was program manager.

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